Jaga Jankowska Cappigny














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by Jaga Jankowska Cappigny
































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« Le roseau ne rompt pas »
par Vanina Pinter




Elle ne calera pas. Précisément, elle juxtapose des textures, des couleurs liquides sur une toile de tissus.
Elle déploie des épaisseurs de pigments purs ou des couches de vernis transparents, ponctue en strates
paillettées d’autres pâtes colorées. Elle avive par de l’encre de Chine, adoucit par du crayon.
Elle ne lâche pas pied devant cette attention au réel qui demeure sa matière première, cette matière
qu’elle tisse et qu’elle entrelace.

Son point de départ est souvent un acte photographique1, un cadrage sur un geste, une sensation, une matière enlevée à notre quotidien.
Depuis ses premières années à l’école des beaux arts de Varsovie, Jaga Jankowska Cappigny s’attarde sur cette interface qu’est notre corps, qu’est tout corps humain face au réel, éternel prisonnier, éternel dompteur, funambule danseur. Elle le dépèce. Elle en révèle les fleurs de peau comme elle se concentre sur un morceau, un tronc, un dos, un visage. Morceler, découper le corps passe en premier lieu par une opération de captation photographique, a priori dénudée, c’est-à-dire livrée dans sa singularité et sa fragilité.
Jaga Jankowska Cappigny s’applique à déshabiller le corps en le dévoilant par de multiples couches.
La vérité ou la nudité est toujours une construction. C’est à ce jeu de dépouillement et de masquage qu’elle se confronte. Elle écorce ces couches complexes que la surface de nos identités, nos différents
« je » entre-mêlent. Son paradoxe pictural se situe sans doute à cet endroit : peler les mascarades de nos apparitions quotidiennes, faire briller nos tentatives de sincérité en choisissant de pas compliquer
le processus de mise en formes. Il se doit d’être limpide, par des couches de couleurs chatoyantes,
des nuances translucides, des trames géométriques. Dans ses compositions, qui peuvent paraître
à la première peau inoffensive, se faufile le principe d’irrésolution : il ne s’agit de résoudre, mais de matérialiser les glissements d’une surface à une autre, d’une identité à des multiples manières d’être,
de rendre visibles ces masques avec lesquels on se protège, on s’exprime, « ces masques qui nous séparent2 ».

Par ses cadres et ces mélanges de pigments et de textures, Jaga Jankowska Cappigny fossilise quelques éléments de son quotidien, une pulsation intime ou une parcelle de paysages qu’elle est allée quérir lors de l’un de ses nombreux voyages. « La photographie est un moyen de partir » : certes l’artiste part d’une image photographique pour ses compositions picturales, mais elle énonce également ce besoin de concrètement quitter un réel, toujours en-deçà. Elle voyage avec une légèreté surprenante, sans appréhension, à l’écoute des différences. Rarement atteinte de ce sentiment d’être étrangère, elle s’approprie les différences des territoires, comme si l’éloignement cristallisait et permettait l’expérience
de la liberté.
Dernièrement, de la Grèce, elle a rapatrié des nus masculins. À leur blancheur non originale, elle
adjoint une cosmogonie de formes élémentaires : faisceaux, auréoles, rectangles de camouflage...
Jaga Jankowska Cappigny s’est beaucoup confrontée aux pratiques de la lithographie, de la sérigraphie et de la photographie, c’est-à-dire aux pratiques qui fixent, qui ancrent et qui démultiplient. L’un (qu’il soit buste, trace...) se transforme en combinaisons et en variations. Chaque toile s’insère dans une logique de séries.

Peut-être est-ce une erreur de jugement due à une méconnaissance, mais il semblerait que les artistEs
ayant du charbon polonais3 dans les veines aient su explorer avec une dextérité flamboyante, la sensualité d’Éros. Cette sensualité se joue des métamorphoses, de la pudeur et des inhibitions. Elle tressaillit dans ses dernières séries.
Il faut parfois du temps, des détours, des tournants, pour choisir la pratique artistique comme lieux de
vie, comme exigence de vie. Jaga Jankowska Cappigny, réaffirme, aujourd’hui, ce désir insatiable.
Elle s’y consacrera.

1 Le sien ou d’un autre à qui elle passe commande.
2 Les citations sont issues d’une interview réalisée avec l’artiste le 17 octobre 2019 dans son atelier.
3 Alina Szapocznikow, Katarzyna Kobro, Teresa Pągowska


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Vanina Pinter
autrice, historienne du graphisme, commissaire d’expositions, enseignante à l’ESADHaR (Le Havre) regarderparlafenetre.fr


Décembre 2019